La chevauchée fantastique ou...
«Le mouvement qui déplace les lignes»

Depuis qu'en 1952 le chemin de Maurice Guillaume et le mien se sont croisés au Salon de la jeune Sculpture, alors sis dans les jardins du Musée Rodin, j'ai suivi l'infatigable évolution de cet artiste. Ce qui, chez lui, m'avait séduit tout d'abord, c'était qu'il se fût consacré à ce que Paul Adam, jadis, avait nommé l'Athlétic. Guillaume savait non seulement rendre hommage à la vigueur et à l'harmonie

des formes humaines, mais encore, contre disant Baudelaire, il aimait à décrire "le mouvement qui déplace les lignes".

 

Cette passion gestuelle ne l'a d'ailleurs point quitté. Je ne lui ai jamais connu un dessin ou une sculpture hiératique. Sous sa plume ou son ciseau, sous ses doigts domptant l'argile, tout bouge rythmiquement sans que les formes qu'il anime se heurtent ou se corrompent en une vaine pantomime. Elles s'évadent au-delà du règne qui leur fut assigné. Elles se prêtent, vivantes, à la contemplation. On aime à les revoir. Elles sont, dans leur façon d'exister, ce que la relecture est à un bon livre et forment, générés par le flux du Temps qui passe, les maillons d'une chaîne infrangible.

 

Il fallait bien que l'itinéraire de Guillaume, naguère jalonné par des œuvres consacrées à certains animaux, conduisit celui-ci à la célé-bration du cheval. Qu'il eût mis des années pour œuvrer à sa gloire suppose une maturation dont la phase essentielle fut la fréquentation des centres hippiques en tant qu'artiste et cavalier. D'où la contemplation du cheval sous toutes ses formes, ses races, et l'étude des caractères de ces animaux dont les ancêtres passionnèrent jusqu'aux hommes des cavernes.

 

Je lui ai connu jadis, lors d'une de ses toutes premières expositions, un étalon qui devait être en zinc et qui, expressif et mouvant, figurait sur la couverture de son catalogue. Du zinc, il nous en offre un en laiton. Il annonce ainsi une bondissante Evasion. Elle flotte au vent de la liberté comme une double bannière. Cette création nous prédispose à la vue d'un Pégase que Méduse n'enfanta point et qui, jouant du sabot, s'apprête à s'essorer dans l' espace tandis qu'un Trotteur s'envole vers on ne sait quelle victoire.

 

La Centauresse, plus femme qu'équidé, a généré, semble-t-il, quelques étalons et juments. ils attestent que Guillaume a su non point les voir, mais les observer d'un regard perspicace, qu'il s'agisse de son Pur-sang, de son solide Postier Breton et de cet Hercule qu'est son Percheron ou son Boulonnais dont les sabots labourent le socle. La Courbette de son étalon nous transporte à Saumur d'un coup d’œil ainsi que sa Croupade. Son Andalou a la majesté sereine des palefrois et des haquenées qui dansent en emportant les hidalgos et leurs épouses vers de bruyantes ferias. Dieu merci, le séjour dans l'arène leur sera épargné. Enfin pour conclure, Ourasi court, Ourasi aux sabots légers, aux jambes prodigieuses "sprinte", immobile vers on ne sait quel immortel triomphe.

 

Guillaume a lâché les rênes à son réalisme imaginatif. Point besoin de sonner le boute-selle : il nous a mis les étriers aux pieds et notre plaisance galope.

 

 

Regards

Pierre Naudin

écrivain médiéviste français,
1923-2011